De l’économie linéaire à l’économie circulaire, le secteur de l’immobilier n’est pas en reste
Le constat
Après la révolution industrielle, le 21ème siècle a connu le développement d’une société de consommation qui a augmenté de façon exponentielle les prélèvements sur les ressources naturelles. Les travaux du programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et d’autres organisations montrent que par la conjonction du développement démographique, de la croissance de la consommation dans les pays développés et de l’aspiration des pays émergents à un modèle de consommation similaire, le niveau de consommation des ressources naturelles sera inacceptable avant la moitié de ce siècle. Aujourd’hui, la consommation mondiale de ressources naturelles utilisées en tant matières premières s’élève à 85 milliards de tonnes et elle passera à 183 milliards en 2050 si nous ne faisons rien. Grâce au recyclage, quelques 22 millions de tonnes équivalents C02 sont évités chaque année :
L’immobilier n’échappe pas non plus à cette course effrénée de la consommation des matières premières et de la production des déchets. Selon l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), en France, le secteur du BTP a généré 81% des déchets, soit 227,5 millions de tonnes de déchets en 2014. La répartition de la production de déchets est la suivante :
Le réemploi de matériaux, une des réponses de l’économie circulaire
L’économie circulaire désigne un ensemble de pratiques permettant de préserver, de mieux exploiter et de moins gaspiller les ressources naturelles (air, eau, sol et matières premières). L’objectif de l’économie circulaire est l’absence de gaspillage et une augmentation de l’intensité d’utilisation des ressources tout en diminuant l’impact environnemental tout en développant le bien-être de tous.
De par leur nature, les cycles de vie des matériaux de construction et des bâtiments et travaux publics sont liés. Quand se pose la question de la fin de vie d’un bâtiment, c’est aussi la question de la fin de vie des matériaux qui est posée. Un choix est donc à faire entre la démolition pour laisser place à une construction neuve ou la réhabilitation. Pour les matériaux, la fin de vie consiste à faire un choix entre plusieurs options issues de la pyramide des déchets :
- la prévention, pour réduire la production de déchets ;
- le réemploi, pour prolonger la durée de vie des matériaux ;
- le recyclage, pour produire un nouvel objet à partir des déchets ;
- l’incinération, pour transformer les déchets en chaleur ou en énergie ;
- l’enfouissement, pour évacuer les déchets ultimes.
Dans le secteur BTP, le réemploi de matériaux est la voie vertueuse à choisir et qui permet de réintroduire les matériaux dans un nouveau cycle de vie. Ainsi, il favorise la préservation des forêts, des carrières, de la ressource en eau. Les bâtiments sont des gisements de matériaux réemployables mais l’évolution des normes et la diversité des matériaux peuvent freiner le réemploi. Il est donc nécessaire de réfléchir en amont de la construction, et donc d’éco-concevoir les bâtiments afin d’anticiper les réhabilitations à venir. Malgré la prise de conscience devant l’urgence écologique, le réemploi de matériaux dans l’immobilier rencontre de nombreux freins.
Les freins au développement du réemploi
Les freins institutionnels
Plusieurs acteurs du secteur de la construction ont été consultés pour la mise en place d’une Responsabilité Elargie du Producteur (REP) au sein du secteur. Malgré cela, le projet de REP, tiré du projet de loi économie circulaire, a reçu des avis défavorables. Notamment, le Conseil Supérieur de la Construction et de l’Efficacité Energétique (CSCEE), organe de l’Etat, a réclamé une meilleure prise en compte de la variété d’acteurs de la filière, des inégalités d’infrastructures sur le territoire, et surtout davantage de concertation au sujet de la REP. La Fédération Française du Bâtiment (FFB) quant à elle estime que des filières sont déjà en place et qu’elles fonctionnent très bien. Enfin, la profession craint que l’éco-contribution soit répercutée sur le prix d’achat des matériaux.
Les freins réglementaires
Il y a différents aspects qui expliquent le lent démarrage du réemploi dans le secteur de la construction. Il a fallu plus de 10 ans pour aboutir aux récentes avancées législatives. Le Code de l’environnement, particulièrement l’article L.541-1, encadre les opérations liées à la gestion des déchets. Ainsi, lorsqu’un matériau est issu de la déconstruction, il a le statut de déchet ou de ressources selon la filière de valorisation qui est choisie. En privilégiant leur réemploi, les matériaux déposés n’ont pas le statut de déchets mais de ressources, contrairement à leur réutilisation qui interviendra dès lors que les matériaux sont évacués du chantier et acheminés au centre de traitement. Il existe une confusion autour de ce statut de déchet, qui aboutit à un langage parfois trompeur. Le terme de « déchets » est celui largement utilisé au détriment du terme « ressources » lorsqu’il s’agit de réemploi. Cette ambiguïté ne favorise pas le changement de comportement.
Les freins assurantiels
Le frein assurantiel est l’un des motifs fréquemment évoqués au sujet de l’utilisation des matériaux de réemploi. Alors que les professionnels qui interviennent sur les chantiers de construction ont l’obligation de souscrire à l’assurance décennale, nombreux sont les contrats d’assurance qui ne prennent pas en charge les matériaux issus du réemploi. En l’absence d’assurance incluant les matériaux du réemploi, certains professionnels refusent leur utilisation car les caractéristiques techniques des matériaux sont un point très important pouvant engager leur responsabilité. Ainsi le type de pose, le soin apporté à la dépose, les conditions de stockage, les nouvelles formes sont autant de points qui sont pris en considération. Ce qui justifie l’importance de transmettre toutes les informations concernant les matériaux lors de la transaction.
On constate néanmoins des évolutions dans la démarche assurantielle des matériaux de réemploi. Par exemple Mobius, acteur du réemploi dans le secteur de la construction, délivre des certificats de garantie spécifiques aux matériaux de réemploi qu’elle a reconditionnés.
Cycle Up, plateforme professionnelle de réemploi des matériaux du bâtiment et de l’immobilier, a innové en proposant une assurance de 12 mois qui couvre les achats effectués sur la plateforme.
Les freins liés à la gestion du temps
Les délais de réalisation des travaux peuvent freiner le développement du réemploi sur les chantiers. En effet, les délais d’exécution sont souvent courts et les aléas liés aux chantiers entraînent souvent des retards. Lorsqu’il s’agit d’intégrer les matériaux issus du réemploi ou de déposer soigneusement des éléments en vue de réemploi, les équipes études et travaux demandent que cela se fasse sans engendrer de retard sur les plannings. La disponibilité de lieux de stockage est également un point à prendre en compte le plus en amont possible. Pour le réemploi effectif des matériaux, ces derniers doivent être stockés dans des lieux qui les protègent des intempéries, de la casse ou tout autre dégât.
Les freins liés à l’esthétique
En phase de conception, les maîtres d’ouvrages et les architectes peuvent se montrer réticents quant à l’intégration de matériaux issus du réemploi. Dans ce cas, les freins sont plutôt d’ordre esthétique. Pour certains, les matériaux sont moins élégants lorsqu’ils sont issus du réemploi et ils ne souhaitent pas les utiliser dans leur projet.
Inciter vers plus de réemploi
On le voit l’économie circulaire s’invite dans chaque pan de nos vies tant pour les particuliers, les entreprises et les collectivités. Dans le BTP, des initiatives existent pour pousser vers plus de réemploi.
Au niveau législatif notamment avec l’entrée en vigueur de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire qui entend accélérer le changement de modèle de production et de consommation afin de limiter les déchets et préserver les ressources naturelles, la biodiversité et le climat (LOI n° 2020-105 du 10 février 2020). Le législateur pourrait aller plus loin avec la mise en place d’une fiscalité avantageuse pour inciter au réemploi.
Des labels notamment 2EC, initié par le Ministère de la Transition écologique, s’adresse aux acteurs du BTP. Il offre un cadre rigoureux et valorise leur démarche ainsi que celle de l’ensemble des contributeurs aux projets, maîtres d’œuvre, ou encore entreprises du BTP.
Enfin certaines collectivités ou grands projets tels le Grand Paris imposent des parts de matériaux issus du réemploi de plus en plus grande dans les appels d’offres. En dépit de nombreux freins, un effort croissant est donc mis par les autorités pour encourager le secteur.
Cossi Aïssi, consultant CMG Advisory