La règle Volcker

La règle Volcker

Dans un contexte économique difficile et suite aux années de crises financières, les pratiques bancaires sont amenées à évoluer afin de protéger le système financier dans son ensemble. Ainsi, de nouvelles réglementations ont vu le jour, non sans peine, et ce, malgré l’évident besoin de réformer le système actuel en termes de prise de risques et de recherche de profits par tous les moyens.

Une réglementation protectrice du système financier

La « Volcker Rule » porte le nom de Paul Volcker, l’ex-secrétaire général de la réserve fédérale américaine. Elle a été présentée lors du « Dodd-Frank Act » de juillet 2010 et a pour objet de modifier en profondeur le système bancaire en interdisant les investissements spéculatifs des banques, qui ont eu une incidence directe dans la dernière crise financière. Elle interdit le proprietary trading sur le territoire a m é r i c a i n pour les grandes banques et leurs filiales qui y collectent des dépôts. Elle prévoit aussi de fortes restrictions en ce qui concerne la détention de participations dans des hedge funds ou des fonds de private equity, l’objectif principal du législateur étant d’éviter le financement d’actifs risqués par des dépôts garantis par l’État Fédéral.

 Proprietary trading (trading pour compte propre)

Le négoce pour compte propre (« prop trading ») se produit lorsqu’un trader traite sur des actions, obligations, devises, matières premières, leurs dérivés ou autres instruments financiers avec l’argent de la banque, par opposition à l’argent des déposants, afin de faire un profit pour lui-même et sa banque.

Mais la Volcker Rule établie également des restrictions importantes pour les activités de market making, d’underwriting (qui constitue une garantie pour les investisseurs, que la banque émettrice souscrira les titres qui n’auraient pas trouvé preneur à l’issue du processus d’émission), de couverture et de trading pour le compte de tiers. Elle prévoit en effet que les institutions qui collectent des dépôts et bénéficient à ce titre d’une garantie explicite de l’État Fédéral, ne seront plus autorisées à prendre des positions en tant que contrepartie principale sur leur trading book, mais pourront seulement le faire pour servir leurs clients, sous peine d’être accusées de pratiquer du proprietary trading. Les banques doivent donc être en mesure de prouver l’objectif économique de chaque transaction ou couverture sur les marchés.

Underwriting

Le processus par lequel les banquiers d’investissement mobilisent des capitaux des investisseurs pour le compte de sociétés et de gouvernements qui émettent des titres (à la fois l’équité et de la dette).

La réforme n’interdit donc pas aux banques d’être actives sur les marchés financiers, mais elle limite leur périmètre d’action selon des modalités plus restrictives et sous réserve de respecter certaines mesures de sauvegarde réglementaires.

Un défi de mise en œuvre pour les banques

L’interprétation et le respect de la règle vont demander beaucoup de discernement au régulateur. En effet, les activités interdites car considérées comme générant un risque systémique sont définies de façon large dans le texte qui a été adopté fin 2013. La Réserve Fédérale Américaine (FED) a reconnu cette difficulté face à la pression du lobby bancaire américain Sifma, et la mise en application de ces règles a été repoussée à juillet 2015.

Par ailleurs, le Congrès américain a renoncé en décembre 2014 à forcer les banques à abriter le trading de certains produits dérivés dans des entités ne bénéficiant pas de dispositifs de soutien de la part de l’État.

Sheila Bair, présidente du Conseil du Risque Systémique (et ancienne présidente de Federal Deposit Insurance Corporation), une association indépendante, a jugé cette décision comme « un dangereux précédent ». Les banques disposent également d’un report à juillet 2017 pour céder leurs parts dans des fonds de capital investissement ou des hedge funds, ainsi que leurs CLO (Collaterized Loan Obligations). Ces produits structurés composés de dettes émises par les entreprises permettent aux banques de les retirer de leurs bilans et de céder ces créances à d’autres banques. L’Association des Banques Américaines (l’ABA) s’érige contre l’intégration de ces CLO au périmètre de la règle Volcker invoquant qu’ils répondent aux besoins des clients et n’ont pas pour but de spéculer.

Collaterized Loan Obligations

Un CLO est un produit dérivé de crédit faisant référence à un portefeuille homogène de prêts commerciaux. Les prêts qui composent un CLO sont souvent des prêts syndiqués, contractés par des moyennes et grandes entreprises. Il s’agit d’une façon efficace pour la banque de titriser ses créances afin de les revendre sur le marché, et soulager les exigences de capital réglementaire imposées par le régulateur. Cela lui permet également de financer d’autres activités, de continuer à servir ses clients et d’augmenter ses liquidités.

Face à ces reports, Paul Volcker a commenté avec ironie : « Il est frappant de voir à quel point les plus grands banquiers d’investissements du monde, reconnus pour leur intelligence et leur souplesse lorsqu’il s’agit de conseiller des clients sur la façon de restructurer des sociétés et même des industries compliquées, ne sont apparemment pas capables de gérer la réorganisation de leurs propres activités en plus de cinq ans ».

« Underwriting, market making » : il sera délicat de distinguer une prise de risque pour compte propre d’une réponse à « une demande raisonnablement attendue de la part des clients à court terme », notamment sur des marchés peu liquides. La règle interdit également la détention d’actifs inférieure à 60 jours. Or une banque peut devoir se séparer rapidement d’actifs dont la valeur se dégraderait, devenus risqués (pour éviter d’enfreindre les prudential backstops), ou juste en cas de difficultés financières.

« Hedging » : il existe également une ambiguïté pour distinguer une couverture de portefeuille (basée sur des modèles internes complexes et dépendant des positions déjà prises par la banque) d’une spéculation pour compte propre. Ainsi, la perte de plusieurs milliards de dollars de JP Morgan subie par leur département en charge de l’exposition au risque de crédit aurait pu avoir lieu malgré le respect de la règle Volcker puisque considérée par certains comme étant une erreur liée à un nouveau modèle de stratégie de couverture.

Les coûts de la réforme

L’arrêt des principales activités visées par la réforme seront substantiellement coûteuses pour les banques. Le proprietary trading peut représenter 10% du PNB des grandes banques, le market making 80% des revenus en fixed income et 60% en equity derivative. De plus, les coûts induits par les obligations de conformité pèseront très lourd pour les plus petites banques souhaitant poursuivre les activités de marché autorisées et ne seront pas supportables pour celles dont l’avantage comparatif est le plus faible. En effet, au minimum un audit par an est prévu et une adaptation des contrôles et gestion des risques de tous les desks devra être opérée afin de garantir le respect de la règle.

Par ailleurs, la mise en place d’une batterie d’indicateurs quotidiens devra garantir qu’aucune activité de trading illicite n’est menée. Ces indicateurs porteront sur l’exposition aux risques, la ventilation des revenus (revenus de trading/revenus clientèle) et les flux de clientèle qui devront être publiés. Enfin, si le régulateur souhaite s’assurer du bon respect de la règle, les banques seront également contraintes d’enregistrer et de conserver leurs données de trading pendant 5 ans. Cette réforme imposera donc une réorganisation en profondeur et un renforcement du contrôle interne. On observe d’ores et déjà, et par anticipation, la fermeture du desk de proprietary trading de la majorité des grandes banques américaines et un impact important sur les activités de marché autorisées.

La réforme pourra également avoir un effet de distorsion vis-à-vis de la concurrence internationale si les banques étrangères ne sont pas soumises à la règle Volcker. On peut également observer à la migration des activités de proprietary trading en dehors des banques et du market making vers les hedges funds pour échapper à la surveillance du régulateur.

Mathieu C.

Pôle Suivi et Gestion des Risques

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