Assurance pertes d’exploitation et pandémie : l’incompréhension

Assurance pertes d’exploitation et pandémie : l’incompréhension

Sitôt les premières mesures de restriction d’activités, dans un premier temps les cafés/ restaurants et très rapidement ensuite toutes les activités jugées non essentielles, annoncées, les chefs d’entreprises et les restaurateurs, sous le choc de cette cessation forcée d’activité et bousculés par la prévision de perte forcée de chiffres d’affaires et un avenir sombre, se sont tournés vers leurs assureurs pertes d’exploitation.

Amère déception

Et c’est là qu’arrive la première difficulté. Très rapidement, les assureurs font savoir que les contrats de pertes d’exploitations comportent des exclusions en cas de pandémie. Dès le 17 mars, la presse professionnelle de l’assurance, plusieurs fois par jour, remontait des informations sur les échanges et le dialogue de sourds instaurés entre : les entreprises, qui ne comprennent pas pour quelles raisons elles ne sont pas indemnisées et les assureurs, qui n’envisagent pas (et qui n’ont surtout pas les moyens) de se retrouver à payer l’addition de la chute du PIB de la France entière. Les agents et les courtiers d’assurance sont rapidement pris d’assaut par les entreprises, tant sur ces problèmes que sur les autres, chômage partiel, etc… La fédération des agents appelle à garder son calme. Mais comment demander aux entreprises de garder leur calme, quand on leur explique qu’elles vont faire faillite tout simplement.

Le ministre des Finances lui-même souhaitait une implication des assureurs

Cette incompréhension des entreprises est alimentée par le ministre des Finances lui-même, qui a tout de suite donné le ton et enjoignait les assureurs, de s’impliquer plus fortement sur la prise en charge correspondante. « L’Etat ne prendra pas en charge (la perte d’exploitation). Notre première responsabilité, c’est la solidité financière de la nation. Nous avons mis en place, un filet de sécurité pour les entreprises et les commerces. Nous allons voir, avec les assureurs, comment ils peuvent participer à l’effort de solidarité national. » – Bruno Lemaire
Avec une telle annonce, les entreprises, peu et/ou mal informées, s’attendaient à ce que les assureurs paient et d’évidence le ministre des Finances, en partie aussi.

Mais au fait c’est quoi l’assurance?

On a tendance à considérer que l’assurance est une activité financière. En fait, l’assurance est une activité de couverture de risque. Lorsque l’assureur décide de couvrir un risque, il va définir ce risque, cerner son périmètre, convenir de ce qui va entrer dans la couverture et de ce qui ne va pas y rentrer. Et à partir de cette définition précise du risque, l’actuaire va établir un tarif. Pour rester très simple, le tarif se décompose en deux parties : une partie qui s’appelle la prime pure et qui est destinée à couvrir le risque lui-même, à laquelle on ajoute ce qu’il convient pour les frais de gestion, les frais d’acquisitions, d’éventuelles taxes, etc… On obtient alors la prime commerciale, qui est celle qui est réellement payée par l’entreprise, ou l’assuré. Le travail de l’actuaire, est donc de définir la prime pure, c’est-à-dire, celle qui va correspondre au risque.

Comment se calcule la prime pure ?

Pour calculer son tarif et toujours avec une vision simplifiée, par rapport à la perte d’exploitation, ce que va chercher à définir l’actuaire ce sont deux facteurs: d’une part le montant du sinistre moyen attendu sur son portefeuille par rapport à l’activité des entreprises à assurer et par rapport à ce qui pourrait être indemnisé compte tenu de la définition du risque, et par ailleurs le pourcentage de risque de survenance de ce sinistre. Et c’est le mariage du couple coût moyen, fréquence de survenance, qui va définir la prime pure.

Concordance juridique

Qu’ensuite les conditions juridiques aient ou non vraiment bien correspondu à la définition du calcul du risque de sa survenance et de sa fréquence telle qu’elle a était tarifé est un autre débat. Il devrait bien sûr, y avoir adéquation parfaite entre les conditions générales et la définition de ce qui est couvert et la prime pure. Mais il peut arriver qu’il y ait des discordances entre les deux et des défauts de couverture. Ce sont des erreurs.

Couverture de la Pandémie

Ce qui est certain, c’est que l’actuaire dans un contrat pertes d’exploitation, n’a en aucun cas envisagé de couvrir une pandémie. Couvrir les pertes d’exploitation des entreprises françaises, telles que nous venons de les vivre dans la période de confinement, correspondrait à couvrir l’activité économique de la France. D’une part, c’est un risque surdimensionné par rapport à la taille d’une compagnie d’assurance. Et d’autre part, même si un assureur envisageait de couvrir un tel risque, le montant de la prime serait inabordable par l’entreprise.

Le dilemme – l’image

Il n’entre pas dans notre propos de prendre parti pour les assureurs ou pour les entreprises, mais d’expliquer, pourquoi il y a un tel dilemme et une telle incompréhension entre les deux. Les uns sont dans la raison pure (le risque n’est pas tarifé et il est d’un montant insurmontable) et les autres dans l’émotion pure (je vais faire faillite, et si je ne suis pas couvert, à quoi ça sert d’être assuré ? » réaction typique d’un assuré que l’on met devant la contradiction d’une exclusion de son contrat : « Mais alors, si je ne suis pas assuré pour ça, pourquoi paie-je des primes ? ». Et d’autre part le public a une très mauvaise connaissance de l’assurance, de ce qu’elle peut faire et surtout de ce qu’elle ne peut pas faire. Comme l’a très justement dit Mme Florence Lustman, Présidente de la Fédération Française de l’Assurance : « Au vu des réserves détenues par les assureurs, le public à l’impression que les assureurs sont des gens riches. Mais ils oublient que ces réserves représentent les sinistres à payer et que donc cet argent ne leur appartient pas. Mais représentent seulement les dettes actuelles et futures envers les entreprises et les assurés. »

La concurrence

Il est vrai que certains des assureurs n’ont pas « joué collectif ». Parmi eux, certains qui avaient d’une part un portefeuille restreint et d’autre part oublié l’exclusion dans leurs conditions générales, savaient qu’ils allaient être contraints de payer. Ils ont décidé de faire leur prise en charge en communiquant largement sur « un geste exceptionnel » et de payer les pertes d’exploitations, qu’ils seraient de toute façon condamnés à payer, mais en la présentant comme une bienveillance. Ceci a contribué à augmenter la colère des entreprises assurées chez les autres assureurs, ceux qui ont les exclusions en question et qui n’ont pas des portefeuilles de taille minime et pour lesquels l’indemnisation de la totalité de leur portefeuille représenterait un coût insurmontable.

Intervention de l’ACPR

Dès le mois d’avril, l’autorité de contrôle ACPR, prenait publiquement position, sur la prise en charge de la perte d’exploitation et rappelait la nécessité de préserver la solidité financière du secteur. « Les moyens financiers dont les assureurs disposent pour tenir l’ensemble des engagements qu’ils ont pris vis-à-vis de leurs assurés et contribuer ainsi à amortir le choc économique provoqué par les pandémies, ne peuvent pas, sauf à les mettre en risque, être utilisé pour couvrir des événements qui sont explicitement exclu de leur contrat. »

Le ministre aussi souhaite la prudence

Quelques jours plus tard Bruno Lemaire appelait les assureurs à la prudence et soulignait que si certains assureurs ont fait le choix d’un geste commercial à l’égard de leurs assurés, pour autant, la solution ne peut pas être de faire payer les assureurs à posteriori sur des risques qu’ils n’ont pas couverts. « La prise en charge, en dehors de toute possibilité d’avoir organisé au préalable la couverture financière par les mécanismes habituels de cotisation des assurés porterait atteinte à l’équilibre économique et risquerait de déposséder la collectivité des assurés qui disposent par ailleurs de créance légitimes à l’encontre de ces assureurs. »

Et sur le front ? Qu’est ce qu’il se passe

Quel que soit le calcul de l’actuaire et la taille du sinistre il est clair que, à la fin, seule la raison juridique l’emportera. Soit le contrat prévoit que l’entreprise doit être indemnisée et l’assureur devra payer, soit le contrat prévoit que justement, il s‘agit d’une exclusion au contrat, et l’entreprise ne sera pas indemnisée. Fort de cela les entreprises ont consulté leurs avocats et dans certains cas les exclusions ont été mal rédigées. Les premiers jugements ont commencé à tomber en faveur de quelques restaurateurs. Actuellement on assiste à des « accords » entre ces entreprises et ces assureurs.

Quelle est l’ampleur de la catastrophe ?

L’ACPR a décidé de lancer un sondage auprès d’un échantillon représentatif de l’essentiel du marché. À ce jour, la perte d’exploitation représente 360 millions d’euros de primes, sur un total de 5 millions d’euros pour les dommages aux biens, soit près de 1,13 millions d’assurés. L’analyse de l’ACPR confirme que 93,3 % des assurés n’ont pas dans leur contrat pertes d’exploitation la garantie pandémie, 2,6 % des assurés, en revanche, on droit à une indemnisation et pour quelques contrats, environ 4 %, les clauses sont ambiguës et seront soumises du fait à l’analyse des tribunaux. L’histoire n’est pas terminée, et probablement elle ne sera pas terminée avant plusieurs mois peut-être, même des années.

Actions des assureurs pour les entreprises

Face aux grandes difficultés du marché, les assureurs se sont réunis et ont décidé un soutien exceptionnel aux citoyens et à l’économie à hauteur de 3,2 milliards d’euros, à savoir 1,75 milliard d’euros de mesures de solidarité extracontractuelles et 1,5 milliard d’euros d’investissements pour favoriser la reprise économique. C’est le seul secteur privé à consentir un tel effort. Cela n’a pas été du goût de tous les participants, l’un d’entre eux ayant décidé dans la foulée, de résilier son adhésion à la fédération.

Et le futur ?

Le refus d’assurance n’est pas une solution même si par ailleurs la profession a dégagé des fonds importants pour aider les entreprises. C’est pourquoi, depuis le début de cette pandémie, un certain nombre de réflexions sont en cours sur la mise en place d’un régime exceptionnel qui ressemblerait de près ou de loin à celui qui existe pour les catastrophes naturelles.

V.Lamblé

958 780 CMG Consulting Group
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