Nouvelle géopolitique du pétrole

Nouvelle géopolitique du pétrole

Depuis la création du marché pétrolier, la variation de l’or noir a toujours été au centre des débats internationaux. Véritable corridor mondial, les quelques pays le possédant en leur sol agissent en stratège pour défendre leurs intérêts nationaux. Depuis 2020 le rapport de force s’est intensifié au-delà de ce qui était considéré comme possible auparavant. Avec la prise en compte de l’épidémie de Covid-19 ainsi que le flou dans lequel les analystes financiers projettent les comportements des consommateurs post épidémie, la fixation du prix du baril et par corolaire, de toutes les externalités qui incombent, devient un enjeu central dont la précision sera cruciale

Manœuvré en réponse au lancement de l’extraction de gaz de schiste, l’OPEP+ avait tout d’abord fixé dès 2014 son prix de moyen / long terme autour de 60 dollars le baril. Ce prix était considéré comme le prix plancher permettant aux industries de rentrer dans leurs frais[1]

Une vision globale de la variation du prix du baril nous éclaire sur les trois grandes phases depuis 2011 : de 2011 à 2014 une moyenne de moyen / long terme autour de $100, de 2014 à 2019 une moyenne oscillant autour de $50 avant les récents chocs baissiers de 2020 qui ont conduit à un retour rapide à $60 début 2021[2].

Ces dernières variations ont fait suite à une volonté des membres de l’OPEP + de suivre les hausses futures de demandes de pétrole avec la reprise des activités industrielles, du transport routier et des voyages aériens, cette hausse anticipée reste cependant difficile à estimer et lorsqu’on sait la précision nécessaire à la fixation du prix du baril pour maximiser la rentabilité de la vente de ce dernier, on comprend aisément la fébrilité des pays exportateurs[3]

 

WTI - Variation et volatilité lissée depuis 2011

Données lissées sur les 5 jours glissants, datasource : Reuters

WTI -Variation et volatilité lissée depuis 2011Données lissées sur les 100 jours glissants, datasource : Reuters

Pour comprendre la difficulté de cette fixation, il faut se pencher sur le marché très particulier du pétrole. Contrairement aux produits standards, le pétrole est dans une situation de monopole oligarchique, quelques vendeurs fournissent une très grande quantité d’acheteur. De par cette position dominante, ils sont donc libres de fixer le prix, enfin pas tout à fait. La seule variable qu’ils peuvent ajuster, c’est la quantité de barils produits par jour. Ainsi, en réduisant la quantité disponible sur le marché, ils peuvent faire augmenter les prix et inversement. Cette méthode est connue sous le nom du principe de Hotelling [4] [5]

Mais le nombre de baril n’est pas la seule variable à prendre en compte, la demande, le stock, la qualité du pétrole, la capacité de raffinage et les coûts de productions sont aussi à prendre en compte pour fixer le prix sur le marché[6]. Cependant, ce n’est pas tout, le pétrole étant présent sur le marché financier, comme pour tout produit côté, il faut également analyser les mécaniques spéculatives et les manipulations de marché. Bref, un imbroglio de variables bien plus complexes que la vision étriquée d’un OPEP surpuissant capable à lui seul d’imposer un prix sans difficulté, même si cette vision est couramment répandue afin de maintenir la vision d’un OPEP indéboulonnable rendant son pouvoir géopolitique indiscuté.

Aujourd’hui, les pays producteurs ont compris que l’indétermination peut tous les pénaliser, Etats-Unis compris, et qu’il vaut mieux s’entendre en ces moments troublés[7]. C’est ainsi qu’une augmentation du volume est convenue au mois de mai[8] dans l’optique de suivre les progrès des campagnes de vaccinations et le retour progressif à « la normale ». Car non seulement le Covid-19 a été un évènement inattendu tant sur son déclenchement que son intensité et sa durée, mais cette épidémie s’est déclenchée dans un contexte complexe et versatile. Cette « entente » mondiale n’est pas sans précédent mais de tels évènements géopolitiques de concordance sont rares

Un autre élément à prendre en considération est la raréfaction du pétrole lié à l’augmentation ininterrompue de la demande dans les années à venir sur les pays exportateurs ouvre le sujet des différentes sources de pétrole[9]. La production, elle, contrairement aux croyances populaires elles sont diverses et les projections établies ont une vision à long terme. Ces analyses, bien que quantitatives et robustes, sont, comme toutes projections, soumises aux aléas et on constate dans le graphique ci-dessous la part non négligeable de la catégorie « nouveaux champs », dont la mise en application contient intrinsèquement une volatilité potentielle. Le rapport de force futur peut donc être analysé par le ralentissement de la capacité de production qui fera face à une augmentation de la demande, notamment celle des pays asiatiques.

 

Evolution de La production MONDIALE par types de pétroles

Source: World Energy Outlook 2019

 

Ajouté à cette multiplicité de provenances potentielles, les marchés de l’énergie renouvelable, en pleine expansion, tendent à fragiliser la position géopolitique future du pétrole. Même si ces derniers restent encore minoritaire (et largement) sur la génération de l’énergie dans le monde, la réalité des stocks restants ainsi que le maintien de l’économie dans son ensemble obligent les pays profitant actuellement de la manne financière de l’or noir à s’interroger sur leur avenir. Ne pas s’orienter dans cette direction c’est perdre à terme tout moyen de pression sur les pays grands consommateurs d’énergie et aussi toute possibilité de retour au premier plan mondial. L’Arabie Saoudite, pays producteur de pétrole par excellence a par exemple créé un parc éolien[10] et une centrale solaire[11]. La Russie, à travers ses entreprises emblématiques comme Rosatom (connue principalement pour son activité nucléaire), prend le pas de l’éolien[12], la Russie continuant à travailler de manière concomitante sa position de leader sur le marché du GNL (Gaz Naturel Liquéfié)[13]

Ces actions, en plus de soulager la consommation intérieure des pays possédant du pétrole dans leurs sous-sols, sont avant tout une démonstration de la volonté des pays de l’OPEP de garder la main sur le marché de l’énergie, qu’il découle du pétrole ou non.

L.KOLODZIEJCZAK , consultant CMG Conseil

[1] https://www.liberte-algerie.com/economie/le-schiste-americain-fait-trembler-lopep-356690
[2] https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/01/05/petrole-l-opep-trouve-un-accord-grace-a-une-surprise-saoudienne_6065292_3234.html
[3] https://www.aa.com.tr/fr/monde/opep-malgr%C3%A9-l-am%C3%A9lioration-de-la-demande-le-march%C3%A9-p%C3%A9trolier-demeure-fragile-%C3%A0-cause-du-coronavirus-/2193655
[4] https://legrandcontinent.eu/fr/2020/05/16/prix-du-petrole/
[5] https://www.jstor.org/stable/3439904?seq=1
[6] http://graphics.wsj.com/oil-barrel-breakdown/
[7] https://www.usinenouvelle.com/article/l-opep-va-alleger-l-encadrement-de-la-production-de-petrole.N1078449
[8] https://www.lemonde.fr/energies/article/2021/04/02/l-opep-va-augmenter-graduellement-la-production-de-petrole-a-partir-du-mois-de-mai_6075305_1653054.html
[9] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-09/datalab_70_chiffres_cles_energie_edition_2020_septembre2020.pdf
[10] https://www.constructioncayola.com/environnement/article/2021/04/12/133594/plus-grand-parc-eolien-arabie-saoudite-moitie-acheve
[11] https://www.boursier.com/actions/actualites/news/edf-renouvelables-et-nesma-finalisent-le-financement-d-une-centrale-solaire-de-300-mw-en-arabie-saoudite-847134.html
[12] https://www.revolution-energetique.com/la-russie-selance-dans-le-developpement-eolien/
[13] https://fr.sputniknews.com/economie/202104011045424435–la-russie-prevoit-de-quadrupler-la-production-de-gnl-sur-la-peninsule-de-yamal/

1024 683 CMG Consulting Group
CMG Consulting Group
Rechercher...