Une dette Covid-19 coriace ?

Une dette Covid-19 coriace ?

Début 2020, l’Etat nous expliquait que l’augmentation des dépenses publiques était déraisonnable. Aujourd’hui, il débloque 136 milliards et cela pourrait s’alourdir. D’où proviennent ces fonds ? Qui paiera la facture ? Comment résorber ce déficit imprévu ?

La dette Covid-19 inattendue

« Tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et nos entreprises, quoi qu’il en coûte » annonce Emmanuel Macron dans un contexte de restrictions d’investissements pour nos hôpitaux ou écoles. Alors d’où provient cet argent ?

D’une manière générale, l’Etat dispose de trois leviers pour se financer :

  • faire des coupes budgétaires (pour baisser ses dépenses) ;
  • augmenter les impôts (pour accroître ses recettes) ;
  • s’endetter auprès de créanciers disposés à lui prêter de l’argent.

Alors que la première option était celle en vigueur, le Président, pour pallier à l’urgence, n’a eu d’autres choix que de creuser la dette pour aider les entreprises, financer le chômage partiel de millions de salariés et renforcer le système de santé dans l’urgence. L’Etat va devoir emprunter au moins 90 milliards d’euros de plus que ce qui était initialement prévu dans le budget, soit 323 milliards d’euros. La dette française cumulée s’envolera à 121% du PIB en 2020 et un déficit public qui devrait s’élever à plus de 9 % du PIB. La France n’avait atteint ces seuils depuis la seconde guerre mondiale.

En raison de l’urgence, l’UE a provisoirement abandonné la règle qui interdisait théoriquement aux Etats européens de dépasser 3 % de déficit et 60 % de dette. En revanche, l’image de la France sur les marchés risque d’être écornée même si le Ministre de l’Economie Bruno Le Maire certifie qu’il n’y a « pas de difficulté à lever de la dette ».

Une dette qui s’alourdit

Mais cette dette, qui va la rembourser ? Ces milliards « viennent du futur », a résumé la Prix Nobel d’économie française Esther Duflo, « Les gouvernements peuvent emprunter aux générations futures sans difficulté ; ils sont là pour ça. Les gouvernements vivent très longtemps, ils auront le temps de rembourser. »

L’emprunt n’est pas forcément remboursable immédiatement : le gouverneur de la Banque de France (BdF), François Villeroy de Galhau, a ainsi évoqué l’idée de suspendre une partie du remboursement des sommes : « Les précédents dans l’histoire peuvent aussi conduire à cantonner la dette liée au coronavirus, pour ne la rembourser que dans plus longtemps. » Ce fut notamment le cas après la Révolution, avec la Caisse de garantie et d’amortissement, ou plus récemment, avec la Caisse d’amortissement de la dette sociale, créée en 1996 pour cantonner la dette de la sécurité sociale.

Certains craignent toutefois qu’une fois l’urgence passée, la potion du désendettement soit amère. L’augmentation des impôts pour rembourser est formellement exclue par le gouvernement actuel, qui préfère compter sur la reprise économique soutenue par des taux d’intérêts faibles. Quant à la diminution des dépenses, le gouvernement ne préfère pas ajouter de l’huile sur le feu afin de rassurer et parle de « gestion plus efficace ».

De quelle manière la dette pourrait s’estomper ?

Annulation de la dette

En annulant la dette, cela ne serait pas indolore pour les détenteurs de la dette française :

  • 20 % de la dette est détenue par la BdF (agissant pour le compte de la BCE) : si l’Etat renonce à rembourser cette partie, il y sera quand même in fine de sa poche puisqu’il est l’unique actionnaire de la BdF et qu’il devra la recapitaliser.
  • 25 % de la dette est détenue par les banques et les compagnies d’assurance françaises : si l’Etat renonce à les rembourser, elles risquent de faire faillite.

Le reste de la dette est détenu par des Etats, banques et investisseurs étrangers, dont une grande partie sont européens : en refusant de les rembourser, d’autres pays européens pourraient plonger dans une crise qui rejaillirait sur la France qui ne jouira plus du même positionnement sur les marchés.

Le remboursement par l’épargne

Et si le gouvernement actuel a jusqu’à présent exclu d’augmenter les impôts, certains se demandent si ce n’est pas plutôt leur épargne qui est menacée. Réputés davantage «fourmis» que «cigales», les Français avaient, en 2018, accumulé un patrimoine financier total estimé à plus de 5.000 milliards d’euros, selon la BdF. Cette piste n’est pas envisagée car la France a la capacité d’emprunter à de bonnes conditions sur les Marchés. En revanche, l’Etat pourrait, malgré tout, sur ce sujet, être tenté d’actionner d’autres leviers. «Il pourrait, par exemple décider d’augmenter les prélèvements obligatoires sous une forme ou sous une autre […] au risque de faire peur aux ménages et aux entreprises».», explique François Ecalle, magistrat de la Cour des comptes en disponibilité.

Cantonner et revoir le financement

Si le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a annoncé un cantonnement de la dette, deux options s’offriraient au gouvernement pour son financement : le prolongement de la durée de vie de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) et de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), ou une fraction de la TVA. La CRDS, créée en 1996, a pour seul objectif le remboursement de la dette sociale. Cette taxe a été prolongée ce printemps par la loi sur l’Assurance-maladie, jusqu’en 2033. Elle pourrait être prolongée jusqu’en 2042 afin de « caler le calendrier des remboursements français de dette Covid sur les échéances allemandes », avance-t-on du côté de Bercy. Deuxième option pour amortir la dette : la fraction de la TVA, première recette fiscale de l’Etat. Son refléchage semble néanmoins plus improbable. Cela pourrait accroître le déficit de l’Etat et par conséquent la dette. D’autant que quelques dixièmes des recettes de TVA devraient déjà être redirigés vers les comptes des régions pour compenser la baisse des impôts de production.

Consensus Via la Banque Centrale Européenne

En utilisant les financements de la BCE, la diminution de la valeur de l’euro est propice à l’inflation (même si limitée à court terme car l’économie tourne au ralentie) et faire ainsi fondre les placements des épargnants.

Néanmoins, « Il y a un consensus implicite dans ce sens, explique Eric Dor, économiste et enseignant à l’Iéseg. On sait que la BCE va devoir racheter beaucoup et pour longtemps des dettes de pays européens, mais on ne sait pas quand elle pourra les revendre… » Ces dettes resteraient alors pour très longtemps sur les comptes de la BCE, jamais formellement annulées, mais abandonnées dans les faits. Ce qui éviterait « de trop lourdes conséquences financières et politiques au sein de la zone euro », et de froisser « certains pays qui refusent l’officialisation de la mutualisation de la dette, comme l’Allemagne ».

La reprise économique : le vaccin du déficit

De nombreux économistes proposent plutôt de se tourner, encore une fois, vers la BCE qui pourrait racheter un maximum de dettes des Etats européens avec sa planche à billets, puis en alléger le poids en assouplissant la durée et le taux des emprunts, ou en renonçant carrément à se faire rembourser – ce qui reviendrait à créer de la dette perpétuelle.

A l’heure actuelle, et au moment où la seule épargne qui aura été accumulée pendant le confinement est d’ores-et-déjà évaluée à 55 milliards d’euros, le pari fait par la majorité LREM est surtout de tabler sur une reprise économique à l’aune du déconfinement.

Autrement dit, si la croissance reprend à compter de la mi-mai, les entreprises et les particuliers paieront davantage d’impôts et renfloueront les caisses de l’Etat.

Sources : Les Echos, La tribune, Agefi

Jonathan Heuveline, consultant CMG Conseil

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