Les obligations indexées sur l’inflation

Les obligations indexées sur l’inflation

Contexte inflationniste du 1er semestre 2022 :

L’année 2022 est marquée par des niveaux d’inflation substantiellement élevés, pourtant, au mois de mai, la politique monétaire des principales Banques Centrales opte pour un durcissement. En effet, c’est bien l’inflation qui préoccupe significativement l’état de l’économie du moment et notamment son caractère durable dans la mesure où les niveaux atteints semblent s’inscrire dans le temps au point de potentiellement avoir pour conséquences une correction des anticipations d’inflation des agents. Dans cette mesure, les acteurs de la politique monétaire américaine (FED pour Federal Reserve System) et anglaise (BOE pour Bank of England) optent pour une montée peu ou prou importante du niveau des taux d’intérêt allant jusqu’à 50bp[1]. La BCE (pour Banque Centrale Européenne) quant à elle, joue la carte d’une communication forte en matière de durcissement de sa politique monétaire en annonçant à minima deux hausses de taux d’intérêt de 25bp à horizon juillet et septembre[2].

Les niveaux d’inflation dans le monde atteignent des plafonds historiques avec en glissement annuel 8.6% aux Etats-Unis[3], 7.4% en zone Euro[4] et 9.0% au Royaume-Uni[5].

Ci-dessous est présenté un graphique comparant les niveaux d’inflation de ces zones :

Données y/y des CPI depuis 2017, datasource : Reuters

C’est dans ce contexte inflationniste que les obligations indexées sur l’inflation deviennent des instruments financiers plus que performants. En effet, les obligations indexées de maturité courte bénéficient de cette hausse de l’inflation de ces derniers mois, là où les plus longues maturités qui elles sont indexées sur des niveaux de taux d’intérêt réel passés enregistrent des performances plus mitigées[6].

De plus, il est notable de rappeler qu’au mois d’avril le gouvernement français inaugurait sa première syndication d’une obligation verte indexée sur l’inflation ce qui est de très bon augure pour cette catégorie d’actif financier.

 

Quelques éléments de définitions :

Introduction sur les mécaniques de bases :

  • Obligation et taux d’intérêt :

Une obligation est un instrument financier représentant une part de l’endettement d’une entreprise ou d’un Etat. Sa fonction est de financer une activité ou des investissements. L’échéance d’une obligation s’étale généralement de 3 mois à 30 ans. Cette valeur mobilière confère à son détenteur le statut de créancier. L’émetteur de la dette s’engage à rembourser un montant (le principal) à l’échéance de l’obligation. Entre temps, il peut être amené à verser des intérêts (ou coupon), qui peuvent être fixes ou variables (selon un taux dit taux coupon), et selon une périodicité donnée (trimestrielle, semi-annuelle ou annuelle par exemple). Ces termes sont fixés lors de l’émission obligataire. Ce titre de créance peut être échangé sur le marché secondaire, à l’instar des actions.[7]

Les obligations sont donc sensibles aux taux d’intérêt : il est important de les distinguer en deux catégories : les taux courts et taux longs. Les taux courts (entre un jour et un an) dépendent des politiques monétaires tandis que les taux longs (supérieures à un an) réagissent notamment aux taux d’emprunt des Etats.

Les taux courts dépendent principalement des politiques monétaires, car ils sont liés au prix que demandent les banques centrales pour financer les banques commerciales. Ces taux courts (Euribor (Euro Interbank Offered Rate), Eonia (Euro OverNight Index Average)) sont ceux qui déterminent principalement les taux variables du crédit immobilier.

Les taux longs eux réagissent aux anticipations de croissance et d’inflation. Ils exercent une influence sur les taux fixes du crédit immobilier.

Ces deux types de taux constituent ensemble la courbe des taux qui par ailleurs peut parfois présenter des « inversions » lorsque les rendements à court terme sont plus élevés que les rendements à long terme.[8]

  • Lien entre obligation et inflation :

L’inflation a un effet significatif sur les taux du marché des obligations. Prenons en exemple une période inflationniste, les investisseurs obligataires espèrent obtenir un coupon plus élevé en contrepartie des prêts qu’ils consentent aux Etats et aux entreprises. Par conséquent, les émetteurs d’obligations, pour trouver des investisseurs, doivent proposer des rendements plus attractifs. Ainsi, on observe une hausse des taux de rémunération des obligations.

L’inflation est vue positivement coté investisseurs, en revanche coté emprunteurs cela signifie que le coût du crédit sera plus élevé. De plus, les détenteurs d’obligations « anciennes », dont le rendement est moins élevé, enregistre une perte sèche. En effet, le prix de ces obligations comparativement moins bien rémunérées se voit aussi décroitre en raison de l’engouement des investisseurs pour de nouvelles obligations offrant un meilleur coupon.

Dans le cadre d’une hausse de taux d’intérêt soudaine, la valeur de ces obligations anciennes peut chuter brutalement, au point de parler de krach obligataire. Les investisseurs peuvent en ressortir sévèrement lésés. Afin d’éviter un tel scénario qui pénaliserait in fine tout le marché obligataire, les banques centrales veillent à assurer des remontées très progressives des taux d’intérêt, ralentissant ainsi les effets baissiers sur la valeur des titres obligataires.[9]

Le cas spécifique des obligations indexées sur l’inflation :

Les obligations indexées sur l’inflation (OII) sont des titres conçus pour aider les investisseurs à se protéger contre l’inflation. Cette classe d’actifs financiers est majoritairement émise par des Etats, comme les Etats-Unis (avec les Treasury Inflation-Protected Securities (TIPS) ou titre du Trésor protégé contre l’inflation) et le Royaume-Uni (avec les ILG Inflation-linked Gilts), mais aussi en France (avec les OATi et OATei, Obligations Assimilables du Trésor sur l’inflation respectivement française et européenne hors tabac).

Ces titres sont indexés sur l’inflation, c’est-à-dire que le principal et les intérêts varient en fonction du taux d’inflation auquel l’obligation est rattachée.

Le recours à ce type d’obligation permet de contourner l’érosion du capital des investisseurs due à l’inflation et dans un sens constitue un outil de couverture du risque de hausse des prix efficace. De plus, les OII sont considérées comme une classe d’actif à part entière des actions ou obligations traditionnelles, dits titres à revenu fixe, en effet car leur rendement en diffère ce qui offre des perspectives intéressantes de diversification et donc de réduction de volatilité de portefeuille aux investisseurs [10].

Fonctionnement :

Le prix d’une OII dépend directement de la mesure de l’inflation qu’elle reconnait de la manière suivante : une hausse des prix se traduit par une augmentation du principal et des coupons que l’obligation détache. Dans le cadre d’une inflation positive et d’une OII à taux coupon fixe, la valeur de chaque versement d’intérêts augmentera dans le temps compte tenu du fait que le coupon sera calculé par rapport au principal corrigé de l’inflation.

Schématisation du fonctionnement d’une obligation traditionnelle vs une OII

La structure de paiement des coupons et d’autres caractéristiques propres aux obligations peuvent varier suivant les émetteurs, pourtant toutes les OII offrent à leur investisseur une performance directement dépendante du niveau de l’inflation. Cette corrélation à l’inflation permet alors d’ouvrir aux portefeuilles d’investissement une exposition aux stricts rendements réels les protégeant ainsi de l’impact potentiellement négatif de l’inflation[11].

Les OII sont pour la plupart assorties d’un plancher de déflation qui permet de limiter la perte des investisseurs à l’échéance dans le cas d’un contexte déflationniste de baisse de prix. En effet, l’investisseur reçoit à l’échéance le montant le plus élevé entre le principal ajusté de l’inflation et la valeur nominale initiale, il sera donc exposé aux pertes sur la valeur des coupons reçus qui sont basés sur le principal corrigé de la déflation.

Afin d’arbitrer entre OII et obligations nominales traditionnelles, il faut prendre en considération le point mort de l’inflation qui est la différence entre les rendements nominaux et les rendements réels. En effet, si l’investisseur anticipe un taux d’inflation supérieur au point mort de l’inflation, il aura tout intérêt à préférer une OII plutôt qu’une simple obligation, tout en prenant bien en compte le fait qu’une OII soit relativement plus chère car moins liquide que les obligations nominales.

A titre d’exemple, 10 % du volume d’émission de dette française est indexée sur l’inflation, 90 % étant de la dette nominale. Dans le contexte inflationniste actuel, la question de la soutenabilité de la charge d’indexation pour le Trésor Français est clairement posée compte tenu du coût qu’elle représente : pour une variation d’1 point d’inflation, le coût est de l’ordre de 2 milliards d’euros. Cela étant ce coût reste tout de même mitigé par la hausse significative de la demande qui vient accroître les prix des OATi[12].

Perspectives de marché :

Compte tenu du retour au-devant de la scène du risque d’inflation, le marché de l’inflation va prendre une place de plus en plus importante pour répondre à la pression croissante de la demande des investisseurs de couvrir ce risque. Cela impliquera la prolifération de produits dérivés d’inflation plus complexes (options, futures…).

Les OII connaissent une envolée de leur prix et sont de plus en plus prisées par les investisseurs désireux de sécuriser leurs portefeuilles exposés à un risque inflationniste jugée sérieux et durable[13]

C’est donc dans ce cadre que l’Agence France Trésor a lancé avec succès par syndication sa première obligation souveraine verte française indexée sur l’indice européen des prix à la consommation harmonisé (hors tabac) : l’OAT€i verte 0,10 % 25 juillet 2038[14].

Cette obligation verte répond parfaitement à la fois aux enjeux écologiques inhérents aux engagements pris par la France pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat et aussi aux préoccupations liées à la pression inflationniste.

L’attrait pour les OII n’est plus à prouver et se comprend aisément car il est bien souvent amalgamé avec l’idée illusoire d’une couverture contre de potentielles contre-performances des marchés obligataires.

Or les OII ne sont autres fondamentalement que des obligations traditionnelles avec une spécificité sur l’indexation à l’inflation. En plus de connaitre une liquidité bien moindre que les obligations traditionnelles, leurs valorisations sont très sensibles, à la hausse comme à la baisse, aux anticipations d’inflation des investisseurs.

Elles ne représentent pas une panacée à la situation actuelle mais plutôt un outil efficace de diversification de portefeuille sur une perspective de long terme. Il est essentiel de considérer l’acquisition de ce type de produit avec prudence en étudiant avec exhaustivité l’ensemble des scénarios d’inflation possibles[15].

Rodolphe WATEAU, consultant CMG Conseil

[1] https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/05/05/etats-unis-la-fed-augmente-ses-taux-d-un-demi-point-une-hausse-exceptionnelle_6124804_3234.html
[2] https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/06/09/face-a-l-inflation-galopante-la-bce-s-engage-a-augmenter-ses-taux_6129602_3234.html
[3] https://www.wsj.com/articles/us-inflation-consumer-price-index-may-2022-11654810079?mod=Searchresults_pos5&page=1
[4] https://www.capital.fr/entreprises-marches/linflation-de-la-zone-euro-depasse-les-attentes-et-atteint-un-nouveau-record-1437828
[5] https://www.cnbc.com/2022/05/18/uk-inflation-jumps-to-40-year-high-of-9percent-as-food-and-energy-prices-spiral.html
[6] https://professionnels.axa-im.fr/fonds/-/funds-center/axa-wf-global-inflation-bonds-i-eur-capitalisation-17193/
[7]http://financedemarche.fr/definition/obligation#:~:text=Une%20Obligation%20est%20un%20instrument,d%C3%A9tenteur%20le%20statut%20de%20cr%C3%A9ancier.
[8] https://atlantico.fr/article/decryptage/taux-courts-taux-longs-les-causes-de-l-inflation-economie-banques-centrales-euro-dollar-pouvoir-d-achat-croissance-europe-etats-unis-france-monnaie-jean-paul-betbeze
[9] https://am.pictet/fr/terredepargne/articles/actualites-des-marches-financiers/inflation-placements-obligataires-et-assurance-vie#:~:text=L%27inflation%20entra%C3%AEne%20une%20hausse,valeur%20des%20obligations%20anciennes%20baisse.
[10] https://www.qtrade.ca/fr/investor/education/investing-articles/experienced-with-investing/inflation-linked-bonds.html
[11] https://www.pimco.fr/fr-fr/resources/education/understanding-inflation-linked-bonds#:~:text=Les%20obligations%20index%C3%A9es%20sur%20l,se%20prot%C3%A9ger%20contre%20l’inflation.
[12] https://www.agefi.fr/financements-marches/actualites/quotidien/20211209/obligations-indexees-l-inflation-ont-rencheri-cout-333781#:~:text=L’AFT%20a%20%C3%A9mis%2023,OAT%E2%82%ACi%20par%20syndication.
[13] https://fundsmagazine.optionfinance.fr/collecte/les-obligations-indexees-sur-linflation-ont-le-vent-en-poupe.html
[14] https://www.aft.gouv.fr/fr/publications/communiques-presse/20220525-lancement-oatei-verte
[15] https://www.allnews.ch/content/points-de-vue/obligations-index%C3%A9es-%C3%A0-l%E2%80%99inflation-rem%C3%A8de-miracle

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