
Depuis quelques mois, le Royaume-Uni connaît une crise économique, mais également politique majeure. Ces difficultés sont présentes depuis le référendum du Brexit voté en 2016 et entré en vigueur en janvier 2020. Cela marque donc la sortie des accords avec l’Union européenne, ses mécanismes de protections, mais également du marché commun qu’il soit financier ou énergétique.
La guerre en Ukraine et l’augmentation des taux révélateurs de la fragilité du Royaume-Uni
La crise sanitaire que le monde a connue en mars 2020 et sa gestion catastrophique par Boris Jonhson a été une première déflagration dans un pays déjà fragilisé par les conséquences du Brexit. Le déclenchement de la guerre en Ukraine, et avec elle le retour de l’inflation plonge le pays dans sa plus grave crise connue depuis les années 70. Avec une inflation à 8,8 % en septembre, les ménages ont de plus en plus de mal à subvenir à leurs besoins primaires, et notamment concernant le paiement des factures d’énergie. En effet, avec la sortie du marché commun de l’énergie, le montant des factures ont explosés, avec des augmentations de prix pour les ménages pour l’électricité de 80 %, et un coût total pour une famille de 3 personnes à 4000€ par an[1]. Face à cette soudaine augmentation des prix et sans mesures fortes prises par le gouvernement de Boris Johnson, les grèves se sont multipliées mais également un mouvement appelé « Don’t Pay » qui vise à ne plus payer les factures d’énergies jugées insupportables par les ménages aux faibles revenus.
La démission de Boris Johnson en septembre dernier a de nouveau plongé le royaume dans l’incertitude. L’élection de Liz Truss en septembre dernier n’a pas permis de retrouver une forme de sérénité politique. Au contraire. L’annonce par le Chancelier de l’Echiquier, Kwasi Kwarteng, a provoqué une crise financière, qui a pu être contenue au Royaume-Uni. En effet, le gouvernement a annoncé des mesures drastiques, avec le gel des factures d’énergies, mais également des baisses d’impôts massives. C’est cette dernière annonce qui a provoqué l’ire des marchés financiers. Outre le fait que ces baisses des impôts ne soient pas ciblées (et donc privilégies les plus riches), leurs financements n’étaient également pas prévus. Par conséquent, la livre sterling a connu une chute importante dans la journée, accentuant une tendance baissière depuis le début de l’année, avec une chute de plus de 20 [2]%.
Autre conséquence, l’augmentation du taux d’intérêt à 10 ans du pays, avec un taux à 4,5 % en septembre. L’obligation a connu une hausse de 110 % depuis Juin 2022. Pour limiter cette hausse soudaine des prix de l’emprunt, mais également enrayer la chute de la Livre, la Bank of England, a acheté massivement des obligations dans le cadre de sa politique monétaire non conventionnelle.
Une crise marquée par la panique sur les marchés et la dégradation d’un nouveau produit financier
Cette violente dégradation des capacités d’emprunt est liée à une vente massive de bons du trésor par les fonds de pension. En effet, ces derniers ont pendant la période de taux négatif eu des difficultés à assurer les rendements convenus avec leur client. Pour maintenir une rentabilité suffisante, ces institutions ont inventé un nouveau produit : les Liability Driven Investment (LDI).
Il s’agit d’acquérir suffisamment d’actifs pour couvrir tous les passifs actuels et futurs, permettant ainsi d’obtenir des rendements lorsque les taux baissent. De plus, un effet de levier est ajouté via l’emprunt d’argent pour spéculer sur d’autres produits et ainsi obtenir plus de rendements. Aujourd’hui, 60 % des fonds de pension utilisent ces produits, avec un encours de 1,2 milliards de Livre[3]. Toutefois, avec le retour de l’inflation et l’augmentation violente des taux d’intérêts ces derniers mois, les fonds de pensions ont commencé à enregistrer des pertes importantes. Pour combler ces pertes, ils ont dû sortir de la liquidité. Cette dernière, difficile à trouver, s’est asséchée avec l’annonce du gouvernement sur les baisses d’impôts. La conséquence est une perte de confiance des marchés dans le gouvernement britannique et sa gestion de crise. Les fonds LDI ont dû ainsi renflouer d’urgence en vendant massivement des obligations d’État, accentuant ainsi la panique sur les marchés.
Un crise financière qui risque de se propager ?
Ce mouvement de panique ravive le spectre de la crise de 2008 et sa propagation dans l’ensemble des systèmes financiers mondiaux. À court terme, un tel risque semble limité. Toutefois, des facteurs de crises autres peuvent survenir, notamment liés à l’augmentation des taux d’intérêts[4] :
– Une nouvelle crise de la dette souveraine pour certains pays, comme l’Italie qui ne pourrait plus assurer le remboursement de ses obligations.
– Des pertes importantes pour certains fonds détenant des actifs illiquides, et notamment investit dans de la dette d’entreprise risquée. Avec le rehaussement des taux et la fin de l’argent peu cher, de nombreuses entreprises qualifiées de « zombies » seront amenées à faire défaut et donc placer ces fonds dans des situations critiques.
– Des sorties massives de liquidités sur les contrats d’assurance vie. En effet, les clients ont désormais intérêt à revoir leurs contrats, et placer leur argent sur des fonds obligataires qui désormais rapportent plus que certains fonds orientés actions, mais également plus sûr.
La crise britannique peut donc servir d’avertissement aux Banques Centrales Américaine et Européenne, notamment dans le choix de leur politique monétaire. Le retour des taux à la normale après plus d’une décennie dans des territoires négatifs, sera un virage difficile à négocier pour les grandes institutions et pourrait amener à voir se reproduire des crises succinctes comme celle connue au Royaume-Uni.
Antoine FILLON – Consultant CMG Conseil