
Refonte de la gouvernance du dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme
Les banques et le secteur financier sont exposés au risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (LCB-FT).
Plusieurs scandales ont révélé des faiblesses et défaillances importantes dans le dispositif LCB-FT de certains établissements bancaires. Des amendes, blâmes ou sanctions ont été prononcés à l’égard des banques relatifs aux lacunes du dispositif LCB-FT (cf. blâme et sanction pécuniaire BNP Paribas Cardif).
Les standards de vigilance sont parfois incompatibles avec les fonctionnements des Etats membres, rendant un processus d’harmonisation minimal du dispositif LCB-FT difficile.
L’UE a décidé de se doter d’une nouvelle autorité de lutte contre le blanchiment d’argent (AMLA) qui aura pour rôle de superviser les Cellules de Renseignement Financiers (CRF) et les banques. Une gouvernance solide et adaptée au profil de risque des banques est un des éléments fondamentaux au cœur d’un dispositif LCB-FT robuste et efficace.
Selon le projet de la Commission européenne, l’autorité AMLA sera mise en place à compter de 2023 et, sera selon la Commission européenne, totalement opérationnelle qu’en 2026.
Nouveau paquet réglementaire AML sur la gouvernance de la LCB-FT
Pour instaurer un cadre européen juridique solide et adapté à la LCB-FT, un nouveau « paquet législatif » a été mis en place courant 2021[1]. Ce paquet porte sur :
- l’entrée en vigueur de la 6ème directive anti-blanchiment (6AMLD) à compter de décembre 2020. Elle doit être appliquée par l’ensemble des acteurs de la place à compter du 3 juin 2021 ;
- le règlement « AMLR » qui vise à renforcer notamment la vigilance à l’égard de la clientèle et des Bénéficiaires Effectifs (BE) ;
- une révision du règlement 2015/847/UE portant sur les transferts de fonds (volonté d’assurer une traçabilité des transactions en crypto-actifs) ;
- le règlement qui vise à créer la nouvelle agence de supervision européenne (AMLA)Concernant la 6ème directive anti-blanchiment (6AMLD): ce nouveau texte complète les imprécisions des cinq directives précédentes.
Les « facilitateurs » seront coupables sur le plan juridique et non plus uniquement les bénéficiaires effectifs (BE). Les clients ayant le statut de Personne Politiquement Exposée (PPE) et les collatéraux de PPE feront l’objet d’un contrôle accru lors de l’ouverture du compte et tout au long de la relation d’affaires.
L’aide et la complicité constituent également une infraction de blanchiment. La cybercriminalité, la criminalité environnementale et les infractions fiscales font partie de la liste des 22 infractions de BC que les Etats membres doivent ériger en tant qu’infraction pénale dans leur législation nationale.
Le risque pénal s’est accru et les banques doivent revoir leurs mécanismes de contrôle des activités de BC-FT et les processus d’évaluation des risques afin d’échapper aux mesures punitives mises en place pour les personnes physiques (durcissement des peines d’emprisonnement par exemple) et l’introduction de nouvelles peines pour les personnes morales (peine pouvant aller jusqu’à la liquidation judiciaire de la société).
- Concernant le règlement « AMLR », il renforce le processus de due diligence et de surveillance des risques.
Une vigilance renforcée sera obligatoire à l’égard de la clientèle et de leur BE. Des exigences supplémentaires en matière d’identification du BE ont été mises en place. En effet, (i) la collecte d’informations et de documents (passeport ou carte nationale d’identité et du « tax identification number ») sont nécessaires. Les banques risquent de se heurter à des difficultés pour obtenir ces informations car elles ne sont pas en relation d’affaires directes avec ces BE; (ii) les facteurs de risque du BE sont à aligner avec ceux du client.
De plus, une proposition d’abaissement du seuil de détention en capital ou droits de vote de 25% à 5% est envisagée. Elle est fortement critiquée. Le seuil de 25% est aujourd’hui un standard international qui est appliqué en Chine comme aux États-Unis. Avec ce règlement, les banques de la place européennes seront en situation de distorsion de concurrence en l’absence de règles harmonisées.
- Concernant la révision du règlement portant sur les transferts de fonds, le régulateur a souhaité réguler davantage le secteur des crypto-actifs.
La lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme concerne également les intermédiaires de crédit, prestataires de crypto-actifs ou de transfert de fonds. La prévention et la maîtrise du risque LCB-FT requièrent une coordination et une coopération forte des banques, pour contourner les circuits financiers mondialisés frauduleux de grande ampleur via l’utilisation d’actifs numériques virtuels tels que les crypto-actifs.
Les portefeuilles de crypto-monnaies anonymes sont considérés comme risqués car les paiements et transferts de fonds sont dans ce cas difficiles à tracer. L’Association pour le Développement des Actifs Numériques (Adan) souhaite adopter une approche centralisée au niveau européen et ainsi renforcer le dispositif des banques en matière de LCB-FT.
La création de l’Anti-Money Laundering Authority (AMLA)
L’AMLA supervisera et coordonnera l’application des règlements européens et travaillera en étroite collaboration avec les entités nationales, en harmonisant les contours de la réglementation et son application dans les Etats membres de l’UE[2].
Cette autorité unique permettra une coopération étendue entre les CRF nationales grâce à l’unification et l’interconnexion des registres (Bénéficiaires Effectifs) ou un système de surveillance unique (plateforme FIU.net) afin d’améliorer la détection des opérations transfrontalières non autorisées et de permettre une coopération transfrontalière plus efficace et rapide entre les Etats membres.
La supervision des entités assujetties s’effectuera via une supervision directe d’entités du secteur financier. L’AMLA disposera de pouvoirs de contrôle directs sur l’entité assujettie, et ce, sans passer par l’intermédiaire d’une autorité LCB-FT nationale. La supervision se fera aussi via une supervision indirecte des autres entités des secteurs financiers et non-financier.
Elle sera habilitée à infliger directement pour les banques sous supervision directe des amendes en cas de défaillances ou manquements en matière de LCB-FT.
La fixation d’une gouvernance LCB-FT uniforme, au sein de l’UE, aura des impacts contraignants au niveau des Institutions Financières présentes.
Sophie HOK, consultante CMG Advisory
[1] Publications Office (europa.eu)
[2] Revue banque Juin 2022 – numéro 869