
Banques et Fintechs changent de relation et passent de la compétition à la “coopétition”, néologisme qui accoste les mots “compétition” et “coopération” pour illustrer cette évolution relationnelle mutuelle. Fintech, pour sa part vient de l’alliance de deux mots, “Finance” et “Technologie”. Ces start-ups utilisent leur expertise numérique pour délivrer des services innovants à différents types d’utilisateur finaux, particuliers, sociétés privées, ou banques.
Les Fintechs naissent de la crise financière de 2008, qui occasionne un durcissement des réglementations et impacte la rentabilité bancaire du secteur des petites et moyennes entreprises. Celui-ci est alors délaissé et les Fintechs s’y positionnent. Pour exemple, la plate-forme Funding Circle déclare avoir prêté 550 millions de livres sterling à des PME entre 2010 et 2014, démontrant une véritable attente sur ce segment. En 2015, 86% du capital de Leetchi est acquis par le Crédit Mutuel Arkéa pour une cinquantaine de millions d’euros, et en 2016, 150 millions de dollars sont investis pour une valorisation pré-monnaie de 9 milliards de dollars dans la « licorne » Stripe (service de paiement). BNP Paribas acquiert en 2017 CompteNickel pour un prix de transaction non communiqué mais qui dépasserait les 200 millions d’euros. Alors pourquoi l’horizon semble t-il plus propice à l’alliance stratégique qu’à la frontalité de la compétition ?
Tout d’abord parce que les Fintechs ne représentent pas de menace immédiate. Elles ont démontré leur savoir-faire sur les aspects transactionnels, sur le territoire du crédit et du prêt, notamment participatif. Elles détiennent une capacité à assimiler et digitaliser une compétence métier en finance et à la structurer avec un choix technologique pertinent, qui leur permet de prétendre à une part très minoritaire du produit net bancaire sans cependant menacer la stabilité des banques. Par ailleurs, les banques savent que la véritable menace vient plus des GAFA (Google, Apple, Facebook -qui a obtenu une licence bancaire en Angleterre-, Amazon) et que les Fintechs sont dans une position où elles doivent s’adosser ou s’allier.
Car le robinet des investissements se ferme, et le Brexit marque une forte tendance à la baisse des prises de participations dans les Fintechs. Le cabinet KPMG note une baisse de 47% (par rapport à l’année précédente) des investissements en faveur des Fintechs, qui sont de 24,7 milliards de dollars sur 2016. Les Fintechs, à l’exception des modèles de rentabilité éprouvés, se trouvent dans une situation de nécessité d’autofinancement de leur développement ou d’apports de fonds extérieurs. Les banques ont donc une opportunité de prise de capital ou d’alliance stratégique, et des exemples de collaborations sont constatés. HSBC par exemple, collabore d’une part avec des Fintechs comme Linxo, agrégateur de comptes bancaires, et d’autre part dote son fonds d’investissement stratégique de 200 millions de dollars sur 5 ans, avec des prises de capital généralement inférieures à 10% pour des tickets allant de 5 à 10 millions de dollars, dans des start-up disposant d’un business-model et d’une application concrète. Kyriba, Tradeshift, Vizolution en font déjà partie des investissements réalisés.
Ce contexte plus fermé implique pour les Fintechs désireuses de s’autofinancer de réussir à déployer un business model rentable, de tenir coût de l’innovation et celui de l’acquisition de nouveaux clients, tout en générant un business suffisant pour continuer leur croissance. Ceci sans omettre de respecter les réglementations en vigueur et de gérer les risques, dans un contexte qui se stabilise mais reste mouvant, les usages précédant souvent les réglementations. Or l’innovation passe parfois par les soutiens financiers externes mais aussi l’expertise et l’effet d’expérience d’un partenaire bancaire, ce qui amène les fintechs à considérer une position plus nuancée, celle de l’alliance stratégique, qui est aussi le positionnement des banques. PwC annonce dans son communiqué de presse que « 82% des établissements financiers traditionnels prévoient de renforcer leurs partenariats avec les Fintechs d’ici 5 ans. » Alors, par quelle relation les banques et Fintechs peuvent-elles co-évoluer et réussir à construire une vision partagée de la relation digitale et des technologies pouvant la porter ?
Fintechs et banques sont des organisations portées par des femmes et des hommes partageant un socle de cultures et des valeurs fortes, et y apporter ce qui peut en être l’exact contraire tout en respectant l’identité de chacun reste délicat. Ceci implique une reconnaissance des valeurs, des savoir-faire et des savoir-être pour a) qu’il n’y ait pas de rejet, et b) qu’une mutation culturelle puisse s’opérer à moyen et long terme. L’accompagnement du changement est essentiel pour chacun des acteurs, qui s’enrichira ou subira ces étapes de transformation digitale sur différents axes clés.
Des cultures de l’agilité et du risque
Banques et Fintechs maîtrisent chacune l’un des deux sujets de manière assez exclusive, car fondation de leurs cultures respectives, mais les chosent changent. Le modèle culturel bancaire est celui de la gestion du risque, de la garantie des écritures et de la réglementation bancaire. Ces qualités rendent les processus souvent complexes et peu ergonomiques, voire quelquefois intimidants ou rébarbatifs, mais le risque y est parfaitement géré et conforme aux réglementations applicables. Les Fintechs sont pour leur part dans une culture de l’innovation et de l’agilité, et gèrent le risque dans un cadre réglementaire moins contraint. L’introduction du Big Data apporte déjà une mutation de cette double culture de l’agilité et du risque, qui continuera à être transformée par la formation de ces alliances qui en ajusteront les curseurs.
Une transformation technologique
D’un côté les banques qui gèrent le risque et sont garantes du résultat des transactions, de l’autre les Fintechs qui développent une connivence forte avec les nouvelles technologies et testent de nouveaux usages : le rapport à la technologie est en relation à la culture du risque. Pourtant, les banques doivent suivre le rythme de l’innovation et intégrer à leur paysage applicatif et leur système d’information de nouvelles possibilités tout en en minimisant la dette technique. La difficulté des banques est de passer d’un modèle vertical à un modèle horizontal qui intègre différents types de fonctionnalités et génère une complexité croissante, là où les Fintechs sont sur un patrimoine applicatif plus agile. La problématique technologique reste forte pour les directeurs des SI bancaires, et le rôle des Fintechs sera de prendre en compte cette complexité afin de ne pas l’alourdir plus encore.
Une transformation de l’approche client
La prise en compte du client et de sa perception du service en tant qu’utilisateur final est aussi très différente entre banques et Fintechs. Les banques expriment les besoins utilisateurs via des groupes de travail qui sont intégrés aux spécifications, là où les Fintechs s’approprient les besoins utilisateurs d’un segment avec agilité, qui est un processus itératif dont l’objectif n’est pas de livrer la totalité de ce qui est décrit dans les spécifications, mais ce qui permet de satisfaire les besoins exprimés. Le Big Data et la mise en place des puits de données partagés par les banques permettront d’enrichir l’analyse et la réflexion des Fintechs des besoins utilisateurs et des opportunités d’innovations. Ceci permettra d’améliorer à la fois l’approche client et les processus qui le servent, et les banques décideront de placer le curseur de l’Agilité entre l’innovation de procédé (simplifier leurs processus et les rendre moins coûteux) et l’innovation radicale (délivrer un nouveau service).
Maîtriser les aspects réglementaires
Les banques ont une forte expertise à apporter aux Fintechs sur la maîtrise des aspects réglementaires, et disposent des agréments nécessaires à l’exercice de leurs services. Leurs processus démontrent qu’elles sont rodées à l’exercice, là où les Fintechs ont plus de difficultés à suivre un cadre qui reste mouvant et complexe. Aux États-Unis, JP Morgan, leader mondial des services financiers annonçait le 30 juin 2016 sur son site www.jpmorgan.com la mise en place d’un programme de mise à disposition des locaux, systèmes et expertise sur une période d’incubation de 6 mois. En France, un pôle commun est créé le 1er juin par l’ACPR et l’AMF afin d’accompagner les Fintechs dans la complexité de la réglementation, pendant que les États statuent sur leur cadre d’exercice, hésitant entre une optique anglo-saxonne du “bac à sable”, où un cadre assoupli est spécifiquement destiné aux Fintechs pour prouver leur modèle, et le modèle français de la proportionnalité des règles, où les mêmes règles sont applicables à tous mais pondérées par la jeunesse de l’entreprise. Les banques peuvent répondre au besoin d’accompagnement des Fintechs avec lesquelles elles décideraient de s’allier.
Au final, la clé du succès à moyen et long terme reste la connivence culturelle des partenaires, et les étapes à franchir seront autant d’opportunités de se distinguer. Banques et Fintechs conserveront leur ADN natif mais l’enrichiront d’une reconnaissance des qualités opérationnelles et stratégiques de leurs alliés. Les alliances grandiront et gagneront en crédibilité, et le grand gagnant sera le client, qui bénéficiera de services et de produits mieux pensés, plus fluides et interactifs, tout en lui garantissant une cybersécurité et une fiabilité transactionnelle qui reste le nerf de la guerre, puisque ce sont nos deniers qui sont en jeu.
Arno G.
Pôle Organisation et Gouvernance